Les grèves de 1947

Les grèves de 1947 en France se déclenchent fin avril à la régie Renault pour demander une hausse du pouvoir d’achat des ouvriers, et se transforment par endroit en mouvement insurrectionnel animé par les militants communistes, soupçonnés ou accusés par leurs adversaires de tenter un coup de force pour prendre le pouvoir, dans un contexte international de début de la guerre froide (exclusion des ministres communistes du gouvernement en mai, adoption du plan Marshall en septembre). On compte vite trois millions de grévistes.

De sévères lois répressives sont prises par le ministre de l'Intérieur Jules Moch (SFIO) qui est le premier à utiliser les compagnies républicaines de sécurité (CRS) contre des grévistes.
Dans le Morbihan, la grève des fonctionnaires ne touche que les écoles primaires et, hormis quelques scieries et chantiers de construction à Pontivy, les grèves dans le secteur privé ne concernent que la région lorientaise.

Les évènements de Lorient

Les dockers et charbonniers du port votent la grève le 24 novembre par 364 voix contre 127. Les employés de marée votent ensuite contre, au soulagement du capitaine de gendarmerie qui s’inquiétait d’une pénurie alimentaire. Environ 4 000 ouvriers du bois et des chantiers de la reconstruction de Lorient se mettent en grève le 27, ainsi que les inscrits maritimes, alors que les cheminots votent contre. La situation à l’Arsenal, le principal centre ouvrier de la ville, est tendue : une réunion houleuse le 1er décembre décide de la grève « dans des conditions indescriptibles de désordre », d’après une mention manuscrite du sous-préfet qui indique avoir entendu de la sous-préfecture des « cris et vociférations ». Le lendemain, seuls 800 ouvriers sur 3 000 sont en grève. Les grévistes tentent de faire pression sur les non-grévistes en les raccompagnant de la sortie à la gare pendant plusieurs jours, et la tension atteint son comble le 5 décembre quand les manifestants envahissent la gare pour bloquer les trains qui ramènent les ouvriers et s’affrontent avec des cheminots. Les forces de l’ordre mettent deux heures à évacuer les lieux.
Les rapports, notes d’information et télégrammes chiffrés des Renseignements généraux et des forces de l’ordre, dans les fonds du Cabinet du préfet ou de la direction départementale de la sécurité publique, permettent de suivre l’évolution du conflit jour après jour voire heure par heure, et de partager les interrogations et les craintes des autorités, qui se demandent si les dirigeants syndicaux sont débordés par leur base, ou si une insurrection organisée militairement se prépare. Un sabotage de treuil au port ainsi qu’un vol de munitions dans un dépôt militaire sont d’ailleurs signalés en ce début décembre, mais semblent être des actes isolés. Le calme revient à partir du 8 décembre. Le sous-préfet de Lorient pense avoir empêché un « coup de force » des communistes le premier week-end de décembre en faisant patrouiller de façon visible des renforts militaires. Une fois la tension retombée, dans son rapport de janvier 1948 au ministre de l’Intérieur, le préfet assure qu’il y a pas eu de commandement organisé « para-militaire », mais demande une ligne téléphonique sécurisée pour ne plus être écouté par les grévistes.

La division syndicale

Les fortes tensions voire les bagarres entre ouvriers grévistes et non-grévistes, ajoutées au contexte politique et syndical national, vont entraîner la scission de la CGT. Un courant interne qui critique la proximité de la confédération avec le parti communiste et refuse de se prononcer contre le plan Marshall prend le nom de « forces ouvrières ». Ces principaux animateurs dans le Morbihan sont des militants socialistes.
Le ministre de l’Intérieur exige dans un rapport début 1948 de recevoir tous les dix jours un rapport détaillé sur le développement de Force Ouvrière, qui a quitté la CGT le 19 décembre 1947. Les syndicats de Vannes, où l’influence communiste est nulle, adhèrent tous au nouveau mouvement, comme environ un quart des syndiqués de Lorient, alors que les syndicats de Pontivy et Ploërmel sont attentistes ou hésitants. À la grande surprise des autorités, les ouvriers des forges d’Hennebont qui avaient voté contre la grève par 1 242 voix contre 142, et qui sont majoritairement des sympathisants socialistes, reprennent massivement leur cartes à la CGT début 1948 (1 500 ouvriers sur 1 600), et aucune section FO n’est formée dans cette localité. Les syndicats de fonctionnaires adhèrent tous à FO, sauf les Douanes qui restent à la CGT et les instituteurs qui vont créer une nouvelle confédération autonome, la FEN.
Le paysage syndical morbihannais de la seconde moitié du vingtième siècle est la conséquence directe de ces mouvements de grèves de fin 1947.

Sources et orientations bibliographiques :

  • 2 W 15821. - Préfecture, Cabinet : conflits du travail, grèves, troubles de novembre-décembre 1947, surveillance. 1940-1947
  • 914 W 91. - Grève, rapports de police, notes des renseignements généraux, correspondance, articles de presse. 1945-1951
  • 914 W 92. - Grève SNCF, rapports et procès-verbaux de police et de gendarmerie, télégrammes, instructions ministérielles, 1945-1951
  • 914 W 93. - Situation sociale et syndicats. 1946-1951
  • 1526 W. - direction départementale de la Sécurité publique, service des Renseignements généraux, 1937-2000.
  • JO 230 : La Liberté du Morbihan (quotidien de tendance modérée)
  • JO 231 : Le Rappel du Morbihan (hebdomadaire du parti socialiste)
  • JO 123 : L’Espoir du Morbihan (hebdomadaire du parti communiste)
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